Une autre proposition de la division du travail : la répartition des taches essentielles à tous.

Automatisation accélérée et répartition du travail marginal.

Eté 2017 : je mets mes recherches algorithmiques en pause et m’apprête à embarquer pour mon train vers le sud. En début de quai, les portiques automatiques n’attendent qu’à être branchés aux programmes déjà prêts à enregistrer les passages des voyageurs. Au-dessus, les caméras, potentiellement connectées à des algorithmes de reconnaissance faciale, sont prêtes à envoyer quantité d’informations, sortes de futurs radars routiers pour piétons des gares. En attendant, postés au même endroit que ces portiques, les derniers contrôleurs humains remplissent cette tache de vérification des billets avant montée à bord.

J’appelle ici travail marginal, la partie non automatisée du travail global (en France par ex.) à un instant t. Il correspond donc à l‘ensemble des taches restant à automatiser. Cette quantité décroit avec le temps. Il est fort à parier qu’en 2018, le travail de contrôleur de train ne fasse plus partie du travail marginal, puisqu’ayant été automatisé entre les 2 périodes (portiques et caméras alors entrés en activité). Il en va de même pour quantité de travails associés à des taches plus ou moins complexes que les machines effectueront à terme intégralement ou en partie à la place des humains.

Malgré une accélération de ce type d’automatisation, il reste chaque jour une quantité importante de taches à effectuer par les humains.  Ces taches sont principalement liées aux activités de soins et de contrôles (soin des espaces communs : villes, quartiers, transports en communs, immeubles, parcs ; et contrôles : sécurité de ces différents lieus), de nos Exo-organismes. Ainsi qu’une participation humaine accrue : soutiens aux urgences, entraide, maintiens du lien social, éducation. Finalement, ce dont nous jouissons tous, auxquels beaucoup pourraient donner davantage que la contrepartie monétaire qui les en dégage (parfois à leur dépend) et dont la réalisation partagée ne dépend que de la décharge de leur emploi du temps.

 

Si j’appelle WM, le travail marginal, c’est-à-dire la quantité de taches liées au soin et au control des communs restants à réaliser à un instant t, considérons 2 options pour que ces taches soient effectivement réalisées :

  • Concentration du WM sur un nombre restreint d’individus : situation actuelle. Ce sont par exemples nos contrôleurs de trains, mais aussi nos infirmières, nos éboueurs, nos nettoyeurs de rues…qui exercent ces métiers à plein temps et qui voient progressivement leurs effectifs se réduire (par l’automatisation mais aussi par diminution des budgets associés) et viennent mécaniquement alimenter les situations de chômages et de précarités. Système de mono-activités, d’ultra spécialistes.
  • Répartition du WM sur l’ensemble des citoyens en capacité de participer à ces taches. Ce qui représentait des emplois à plein temps se voit alors réduit à WM/nb, soit quelques jours par mois (ou quelques heures par semaine). Nous voyons ainsi que l’automatisation progressive n’a pas le même impact : la diminution continue et à venir du WM génère un impact distribué et non plus concentré. A travers ce type de répartition, c’est toute une diversité de combinaisons d’activités qui s’exprime, y compris des spécialistes (chirurgiens, informaticiens par ex.), qui maintiennent une part d’activité responsable envers les communs.

C’est vous l’aurez compris sur cette 2e option que je poursuivrai cet article.

La constitution d’équipes équilibrées et la transmission des savoir-faire à travers l’action.

Des équipes donc, pourquoi pas tirées aléatoirement, en assurant toutefois un équilibre des niveaux de maitrise pour que la transmission des savoir-faire se réalise de façon continue sur des populations qui se rencontrent, se parlent et réalisent ces taches, indépendamment de leurs métiers propres et de leurs appartenances. Et ce, dans l’objectif de prendre soin ensemble des environnements qui nous conditionnent.

 

Les conditions de réalisation.

S’assurer que chacun ait, en contrepartie de sa participation (5j/mois), un retour décent, de logement, de soin d’éducation, d’alimentation et peut-être pour cela, en conditionnant toute perception monétaire (y compris celles provenant d’autres fonctions/activités exercées) à cette participation aux taches communes.

Il faudra s’assurer que les personnes qui exercent ces taches aujourd’hui (de manière répétitive, ie à plein-temps) puissent maintenir au moins le même niveau de vie qu’aujourd’hui. Celui-ci correspond aux 20% de revenus les plus faibles de la société, c’est-à-dire au strict minimum pour assurer les besoins primaires de logement et d’alimentation. 20% de revenus les plus faibles en contrepartie de la plus grande part (80% ?) de la pénibilité au travail.

 

Valeur d’action > (est supérieure à) valeur d’usage et autres gains indirects.

Il est possible que ce temps de contribution soit bénéfique, pour les équilibres personnels mais aussi globaux, en partant de l’hypothèse que le fait d’éprouver l’effort lié à la réalisation (valeur d’action : nettoyer une rame de métro), permette de rendre les usages plus respectueux, plus conscient et ainsi de constituer une meilleure évaluation personnelle de la valeur d’usage (non plus définie par le coût monétaire, parfois complètement dé-corrélée de l’effort de réalisation).

Le meilleur moyen de profiter de quelque chose n’est-il pas de participer à sa réalisation ? D’en capter la valeur, qui n’est plus alors uniquement une valeur d’usage mais aussi une valeur d’effort.

L’ensemble de ces taches ne reposant plus sur un nombre restreint d’individus sous pression, les structures de soin seront perpétuellement actives et entretenues par l’ensemble.

Le fait que la grande majorité d’entre nous, dés qu’il en est capable (16 ans par exemple), participe à une multitude de fonctions de prise de soin / de contrôle permet un accès équilibré aux fonctions, aux métiers et peut aboutir au déclenchement de passions, de talents, de prédispositions, d’affinités, de spontanéité. Cette répartition constitue donc un élargissement des savoir-faire fondamentaux à l’échelle individuelle tout en assurant une continuité des métiers existant, à réinventer et à inventer. La simple confrontation avec la tache étant parfois révélatrice d’aptitude et de gouts pour ces activités. Il n’y a aucune raison de se passer de ce potentiel gisement d’idées. Ainsi, les penseurs de machines/automates, les enseignants, les médecins, ceux dont le métier se spécialise par un approfondissement, pourront  aussi transmettre une partie de leurs savoirs pointus lors de ces participations récurrentes.

Illustration : les services d’urgences étouffent, ce n’est pas un secret, dans ce cadre, la participation dés 16 ans pourraient y prendre place : prises en charges administratives, 1ers soins, maintiens en éveil des arrivants, transmission des observations à des personnes plus qualifiées, réparation du matériel, etc…d’une part, chacun d’entre nous apprendrait les bases de ces prises en charges et d’autres part, l’apprentissage continu pourrait venir compléter les rangs des soignants, voir déclencher des passions, détecter des aptitudes particulières et former des médecins de métiers. La condition étant que même ceux-ci continuent à dédier une part de leur emploi du temps à la prise en charge d’autres communs…nous voyons bien ici que cette participation comblerait une partie des besoins de nos hôpitaux mais aussi nous permettrait aussi d’acquérir des savoir-faire essentiels à notre survie et notre équilibre.

 

Le caractère primordial de la contribution à l’éducation.

Il semble que nous tombions souvent d’accord avec le fait qu’en l’éducation se trouve la source d’un monde meilleur, plus respectueux, plus juste. Conclusion récurrente de nombres de nos conversations, quelque soit le point de départ, à partir du moment où l’on souhaite répondre par une piste de solution à une problématique de moyen à long-terme. Le système évoqué ici est par nature un système de transmission des savoirs. Chaque citoyen en capacité de transmettre pourrait contribuer à l’éducation des plus jeunes, via des cours théoriques en maintenant un système d’enseignement proche du système public actuel. L’aspect pratique étant couvert spontanément par les participations aux soins des communs.

 

Pour une réelle prise en compte de la pénibilité au travail :

Il n’est pas aisé de mesurer la pénibilité au travail mais les nouveaux outils, y compris les objets connectés pourraient rapidement nous y aider.

Pour faire simple : 2 approches :

  • En temps-réel : mesure du nombre d’effort répétés et impliquant une certaine forme de souffrance infligée au corps (ex : mouvement des bras répétés, position assise prolongée => douleurs dorsales continues, difficultés à marcher…) et à l’esprit (ex : yeux rivés sur un écran, tâches répétitives => maux de têtes, douleurs dorsales, abrutissement…)
  • Post-effort (batch) : mesure de l’écart des durées de vie en bonnes santé par métier.

Dans les 2 cas, il convient d’appliquer une méthodologie « toutes choses égales par ailleurs ».

Ainsi, le résultat de l’une ou l’autre approche ci-dessus ou des 2 combinées peut constituer une pondération représentant la pénibilité au travail.

Constat majeur : les pénibilités sont différentes selon qu’elles s’appliquent à 1 seul individu ou à un groupe d’individus.

Illustration : 1 travail à réaliser : 1 éboueur (arrière camion) travaille pendant 6 heures consécutives, il aura vidé 200 poubelles, marché 6km, sauté du camion 200 fois en descente et 200 fois en montée, aura poussé un poids total de 3,2tonnes avec ses bras (et en appui sur ses jambes)…poussée ?

Or, au fur et à mesure que son travail avance, la pénibilité augmente (il y a alors accélération de la pénibilité), supposons une forme exponentielle (faible augmentation de la pénibilité au début, puis une progression de plus en plus forte et accélérée).

Au cours de la 1ère heure, la pénibilité est supposée constante, puis elle s’accentue les heures suivantes pour atteindre son maximum à la dernière heure.

P1 = 1 ; P2 = 1,5 (2eme heure 50% plus pénible) ; P3 = 2,5 ; P4 = 4, P5 = 6 ; P6 = 9

Ptotal1 = 24

Supposons maintenant que la tache de travail soit partagée entre 6 individus, se relayant toutes les heures (ou même la situation ou 2 travailleurs se relaient d’h en h, cependant il reste le critère de répétition), nous voyons ainsi la pénibilité totale tombée à Ptotal2 = 6.

Et nous voyons bien ici que la somme de la pénibilité Pt1 > Pt2, ce qui conduit au rejet de l’hypothèse d’égalité des sommes dans le contexte de la pénibilité concentrée et distribuée.

 

La pensée comme capacité à nous organiser.

Il est fort possible que cet article vous paraisse extrême et soit assez souvent qualifié d’utopique et je m’attends à des objections mais rien ne m’enlèvera l’espoir que nous somme capable de nous organiser, c’est-à-dire de penser, de penser pour panser, de réfléchir pour des causes nobles en puisant dans ce qui nous rallie pour tendre vers l’amélioration continue de nos conditions de vie, sous contraintes individuelles, collectives et environnementales.

La pensée est cette aptitude dont l’objectif est de nous organiser. Serons-nous capable de faire en sorte qu’elle ne repose pas sur la compétitivité d’un pays (ce qui encourage la concurrence internationale déloyale) mais bien sur la capacité de son peuple, aux peuples à s’organiser, à coopérer pour rendre cela possible ?

 

Autres questions : la suite du capitalisme est-il une réinvention tardive d’une forme de communisme (velib, autolib, partage des biens et des idées, open-source, …, Intelligence Artificielle) ? Avec quels objectifs et quelles contraintes allons-nous (vont-ils ?) nourrir les IA qui prendront (prennent déjà) des/les décisions à notre place ?

Auteur : Jonathan Petit

 

https://www.universalis.fr/encyclopedie/division-du-travail/

https://fr.wikipedia.org/wiki/Taylorisme

https://www.usinenouvelle.com/article/il-y-a-100-ans-ford-inventait-le-travail-a-la-chaine.N207040

http://www.lemonde.fr/economie/article/2014/09/23/jeremy-rifkin-la-troisieme-revolution-industrielle-a-commence_4493076_3234.html

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